Méthode globale
Voilà ressorties les vieilles lunes. Cette méthode globale d’apprentissage de la lecture qui serait la cause de tous les maux et de l’absence des mots !
Comment un ministre de l’Education Nationale peut-il avoir une méconnaissance telle de ses dossiers pour proférer ce genre de contre vérités ?
Cette méthode, effectivement en vogue dans les décennies 70, qui n’a touché que quelques % des élèves : trois à quatre à ce que l’on disait à l’époque, a été définitivement abandonnée à l’aube des années quatre-vingt. Les élèves qui en auraient été les victimes ont aujourd’hui plus de trente ans. Difficile d’expliquer les problèmes de l’échec scolaire actuel !
Pour ma part, je n’ai que ma modeste expérience à opposer à cette déferlante médiatique. Je vous la propose ici :
Débutant en 1972, on me confie une classe de cours préparatoire de trente élèves : c’était courant à l’époque. Située dans une banlieue ouvrière, composée uniquement de logements sociaux. Arrivés aux vacances de Pâques – on dit maintenant printemps- 29 élèves sur trente lisent couramment et nous pouvons perfectionner cet apprentissage jusqu’à fin juin. Le seul élève n’ayant pas appris sera dépisté comme déficient léger et orienté en classe spécialisée. A l’époque, il s’agissait des classes de perfectionnement. Je n’avais pas utilisé de méthode globale mais une méthode dite mixte à l’époque : Daniel et Valérie, l’histoire de deux enfants de la campagne. Malgré un investissement personnel important, je n’avais pas rencontré de difficultés particulières. C’était plutôt agréable d’être un instituteur débutant.
Presque trente ans plus tard, avant de devenir directeur, toujours en CP-j’y ai passé environ la moitié de ma carrière et acquis quelque expérience-, toujours dans une banlieue défavorisée –on dit maintenant les quartiers-, une classe de 22 élèves : les effectifs ont effectivement baissé. A la fin de l’année scolaire : la moitié des élèves ont acquis une lecture correcte, six élèves commencent tout juste à déchiffrer et cinq sont complètement perdus et peinent encore à distinguer les voyelles entre elles. La méthode employée : une méthode dite naturelle faisant une grande part à l’apprentissage des sons et à ce que l’on appelle la combinatoire mais sans oublier le sens essentiel à cette compétence. Un gros investissement en travail pour gérer ces différences de niveaux, pour essayer de trouver ce qui va déclencher et aider les apprentissages et à l’arrivée une mauvaise image de son travail.
Comment expliquer ces difficultés ? Certainement pas la méthode globale : elle n’est pas en cause dans cette histoire. Encore moins l’inexpérience de l’enseignant : vingt ans de CP, ça apprend certaines choses. Alors, quoi ?
Quelques explications possibles :
En 1972, aucun élève n’avait la TV dans sa chambre. Aujourd’hui : presque la moitié des enfants de six ans possèdent un téléviseur et quelquefois un magnétoscope ou lecteur DVD dans leur chambre. Quand les spécialistes du sommeil nous expliquent qu’un enfant pour apprendre doit être couché raisonnablement tôt. Et je ne parle pas des consoles et autres jeux d’ordinateur.
Il y a trente ans, très peu de familles monoparentales, décomposées ou recomposées. Là aussi, les spécialistes nous disent qu’un enfant doit être « bien dans sa tête » pour aborder les apprentissages.
A cette époque, c’était pratiquement le plein emploi. Aujourd’hui, dans nos quartiers : presque 30% de taux de chômage sans parler du nombre de bénéficiaires du RMI en augmentation constante.
La société de consommation pointait bien évidemment son nez mais on était loin de l’avalanche des sollicitations actuelles du « tout, tout de suite ». Quand on sait qu’apprendre suppose l’apprentissage de la frustration.
L’immigration n’était pas familiale et peu d’enfants intégraient l’école sans maîtriser la langue française, préalable indispensable à l’apprentissage du sens.
Ce ne sont que des pistes de réflexion, bien loin d’une guerre des méthodes, même si l’on peut reconnaître que cette méthode globale n’a jamais donné de résultats extraordinaires. J’ai malgré tout dans mon école actuellement deux enseignants ayant appris à lire de cette façon. Ils ne s’en sont pas trop mal tirés.
Quelques remarques accumulées au cours de ma vie professionnelle pour finir :
Aucune méthode n’empêche un enfant d’apprendre à lire si toutes les conditions sont remplies.
La façon dont se passent les premières années d’école primaire (maternelle et élémentaire) sont essentielles pour le devenir des élèves. Les moyens devraient y être concentrés en fonction des difficultés.
Lire, ce n’est pas uniquement lire des lettres puis des syllabes, puis des mots. Il y faut du sens. Un enfant qui a appris à déchiffrer pourra vous lire une page en espagnol, par exemple, sans en comprendre un traître mot s’il ne possède pas cette langue.
L’école ne résoudra pas les problèmes de la société : elle en est le miroir. L’accuser de tous les maux, c’est éviter de réfléchir et de prendre les décisions qui conviendraient.
Je n’envie pas les collègues qui débutent aujourd’hui : confrontés aux pires difficultés ils se voient culpabilisés voir méprisés par une administration et des politiques qui montrent plus de facilité à enfourcher les théories populistes du café du commerce qu’à prendre en compte les avancées des chercheurs en matière d’apprentissage et à nous proposer un projet de société qui pourrait réellement porter l’espoir de changer la vie. Nos élèves sont les citoyens de demain, ne l’oublions pas.