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Le quotidien d'un directeur d'école
3 juillet 2006

Départs

La fin de l’année. C’est l’heure des départs. Départs de nos listes complémentaires qui vont partir en formation. Départs de nos nouveaux titulaires qui ont participé au mouvement et ont obtenu un poste plus près de chez eux et départ de ceux qui après de nombreuses années ont enfin obtenu une mutation dans un autre département. Il y faut de la patience. Environ 2500 demandes chaque années pour quitter ce département et une petite centaine de vœux exhaussés.

Quand il s’agit du départ d’un pilier de l’école, c’est d’autant plus difficile. Pour masquer notre désarroi, nous avons choisi d’en rire… Voici le discours prononcé à l’occasion de son départ :

Notre collègue nous quitte, après vingt ans de bons et loyaux services, comme on dit, dans notre école.

Elle prit en effet et en 1986 la succession de sa mère dont l’esprit hante encore parfois les couloirs de l’école et la classe de sa fille.

Ce fut une collègue presque idéale : elle ne fumait pas dans la salle des maîtres, avait une diction et une hauteur de voix qui permettait à tous de bien comprendre ses messages, était toujours à l’heure à l’école, très rarement malade ou absente, toujours ponctuelle dans ses services, toujours prête à rendre service, ne refusant jamais les élèves d’autres collègues empêchés, toujours disponible pour remplir la fonction de directrice adjointe en l’absence de celui-ci –d’ailleurs qui va maintenant accepter cette tâche ingrate maintenant qu’elle ne sera plus là ? Et aurai-je de nouveau l’esprit léger et le pas guilleret quand pour d’obscures raisons, je me verrai contraint de m’absenter.

Afin d’aider au mieux ses collègues, elle souhaitait tout savoir de leur vie, faisait et refaisait les couples et n’hésitait pas quand les informations lui manquaient à les inventer, les travestir ou les modifier pour mieux cerner la réalité.

Pour enrichir les nombreux débats de la salle des maîtres, elle était toujours prête à porter la contradiction, à complexifier les situations qui auraient pu apparaître simples et à dramatiser ce que nous aurions perçu comme des incidents mineurs. Qu’elle soit ici remerciée de ce rôle souvent difficile qualifié, bien à tort, d’avocate du diable.

Elle n’a jamais compté son temps pour aider de jeunes collègues démunis, recevoir dans sa classe des stagiaires à former ou asséner ses convictions pédagogiques aux débutants, frais émoulus de l’IUFM et dépourvus de tout bagage. Ceux-ci ont pu ainsi mesurer la solidité de leurs convictions.

Elle n’a non plus jamais hésité à intervenir dans d’autres classes pour y rétablir le calme propice au travail scolaire par ses facéties et ses tonitruantes intrusions.

Toutes ces qualités dans une seule personne, ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde –j’ai des noms si vous voulez- et c’est d’autant plus remarquable.

Ce fut une excellente maîtresse –aux dires de tous ceux qui la connaissent beaucoup mieux que moi – maîtresse d’école, cela s’entend. Je le précise car son mari est beaucoup plus fort que moi et je souhaiterais qu’il n’y ait pas le moindre doute sur les relations que nous avons pu entretenir avec sa femme durant ces cinq longues années. D’ailleurs nous avions décidé de ne pas le dire et ma femme pourrait l’apprendre.

Jamais une récrimination de ses élèves, même de M… C…, et jamais non plus de parents dans mon bureau. Les documents rendus en temps et en heure. Pas d’erreurs de compte. Les différentes circulaires émargées au bon endroit. Le rêve pour un directeur ! Je pourrais poursuivre cette liste longtemps mais j’aurais trop peur de blesser sa modestie légendaire.

Un seul petit reproche, quand même, une légère tendance au bavardage pendant les conseils des maîtres, surtout aux côtés de D…. Hélas, la vie, la géographie et les circonstances vont les séparer. Je la remercierai également de quelques prises de parole inopinées qui savaient relancer la tension nécessaire sans laquelle un bon conseil des maîtres n’est pas réussi.

Nous regretterons cette fidèle collaboratrice et pour que son nom soit à jamais gravé dans nos mémoires et dans notre école, je proposerai aux collègues, s’ils en sont d’accords, de baptiser, elle qui en fut un pendant longtemps, un pilier de son nom.

Pour honorer son souvenir nous ne manquerons pas de punir quelques élèves récalcitrants à ce poteau que nous appellerons désormais le pilier du dragon.

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